mercredi 23 janvier 2008

La lotte


« Je m’appelle John Merik, je ne suis pas un animal, je suis un être humain. »
John Merik dans Eléphant Man de David Lynch. 1980.

Le calvaire d’Eléphant Man me fait penser à celui que vit depuis des siècles voire plus,
la lotte, cet étrange poisson des mers.
La lotte est le seul animal marin qui n’a pas de tête. Comment vit-elle ? Se nourrit-elle ? Mystère ? Sur tous les étals des poissonniers, je n’ai croisé que des lottes sans tête.
On les appelle d’ailleurs des queues.
Intriguée par cette particularité anatomique, j’ai mené mon enquête et découvert que la lotte est le seul animal marin à finir à la française, c’est-à-dire décapité. Pour une raison assez ignoble, pour un simple délit de sale gueule !!!! Et oui, la lotte est laide et mal foutue. Elle tient d’ailleurs plus de Quasimodo que d’Eléphant Man.
Une tête énorme avec deux yeux perchés au sommet de la tête et un petit corps tout flasque. L’animal est à faire fuir. Au Moyen-âge, les marins d’ailleurs épouvantés par cette créature démoniaque la rejetaient à la mer…

La lotte serait donc un animal marin particulièrement rusé. La laideur comme camouflage, je trouve cela très fort. Mais peu à peu, ma sympathie pour cette soi-disant victime s’est émoussée en apprenant que ce monstre marin n’était pas si innocent que ça.
En fait, la bête passe la plupart de son temps, en embuscade. Seule sa grosse tête plate couleur de sable dépasse du sol. Incognito, elle exhibe au sommet de sa tête un petit filament qui retombe en avant et sert d’appât. Et apparemment son grelot sans sonnette fonctionne trés bien puisqu’elle arrive même à dévorer des poissons aussi gros qu’elle après les avoirs lacérés de ses dents acérées.

La lotte a une queue et un foie. Le foie de lotte, vu le choix sélectif des poissons qu’elle avale est de grande qualité donc assez cher. On le toaste comme le foie de morue, personnellement, j’ai du mal à le recycler. Je ne suis pas très fan. Enfin, pour l’instant.

Arrêtons les généralités et entamons les choses pratiques. Pas simple. L’animal rechigne à passer à la casserole. D’où, un nouveau camouflage, elle s'enroule d'une peau sombre, couleur vase, trés épaisse puis sa camoufle dans une camisole de dentelles noires qu’on rame, vraiment qu’on rame à retirer. Quand on débute dans le métier, on les hait et l’on regrette amèrement la docilité de la sole, du saint-pierre, du turbot, poissons autrement policés et moins humiliants à travailler.

Mais la lotte ne résiste qu’aux maladroits, aux mains inexpertes, aux petites lames. Aux autres, les initiés, les poissonniers, elle s’abandonne et d’un seul trait de couteau, elle se laisse déshabiller sans la moindre résistance.
Une fois nue, un miracle s’opère, sous la peau noire, la chair apparaît d’un blanc laiteux tellement pur qu’on n’ose y croire, craignant qu’au contact de l’air, elle s’oxyde, jaunisse. Non. Suprême délicatesse, son corps d’une exceptionnelle tendreté n’abrite aucune arête.
Si la lotte avait conscience de la saveur de ses entrailles, à coup sûr, cette gourmande dévoreuse n’y résisterait pas, elle trouvait un artifice pour se dévorer elle-même.



Propositions pour cuisiner une lotte défunte


La lotte a une chair ferme et douce, elle est en plus, docile à la cuisson. Elle rend bien un peu d’eau et se rétracte, mais il suffit de compter un peu plus large. Allez 1kg pour 2 ou 3 personnes.

La coutume veut que les poissons soient cuisinés avec les produits soi-disant proches de leur lieu de villégiature. Les rougets et les anchois par exemple appellent la tomate confite, les olives noires, l’aubergine, autrement dit des produits des pays chauds. Hareng- tapenade, haddock- ratatouille sonnent comme des incongruités. Quoique, de nos jours, l’improbable soit de bon ton. Tout est affaire de dosage et surtout d’intelligence. Mais c’est un autre sujet.
En ce qui concerne notre queue de lotte, qui fréquente les fonds de la Méditerranée mais aussi de l’Atlantique, on a le choix.

On dirait que les chefs boudent un peu la lotte. La mode est aux poissons qui ont de la présence comme le maquereau par exemple réhabilité ou aux valeurs sûres comme la barbue, le turbot, sans compter les langoustines, les écrevisses et autre tourteau, qui ont aussi la côte.

Michel Bras présente pourtant « une lotte de méditerranée pochée à l’huile noire ; côtes et feuilles de moutarde, » une recette étonnante en noir et blanc totalement graphique que j’aime beaucoup. Oubliée l’arrogance de la bête. Seul compte le produit brut et comme il a raison. Des tronçons de lotte roulés dans une chape d’huile sombre. Un pur bonheur visuel…et gustatif s’entend.



Dans le désordre, voici quelques recettes totalement dénuées d’objectivité.


Une version naturiste

Lotte toute crue

Le poisson doit être d’une exceptionnelle fraîcheur, les tronçons de lotte sont tranchés avec un couteau japonais en lamelles presque transparentes. Versez une petite marinade à base de yusu (le citron japonais à défaut du citron vert), de sauce soja claire, de citronnelle hachée menu, de feuilles de combava émincées, et de gingembre au vinaigre . Laissez mariner ½ heure, pas plus, le poisson cuirait. 2 baguettes et un petit saké… Ce plat minimaliste a de redoutables vertus aphrodisiaques. Il suffit de le savoir.


Une version pour les érudits ou les fanatiques

Beaucoup moins fraîche inspirée de la légende de Loth, ami d’Abraham, qui vivaient au temps où Dieu avait décidé de détruire Sodome et Gomorrhe (lieux de plaisir pour les uns et de perdition pour les autres). L’affaire tourne mal, Loth n’arrive pas à sauver Sodome et doit se réfugier dans une caverne. Là, ses deux filles, lasses de ne pas trouver de mâles alentour, enivrent leur géniteur, couchent avec lui, « pour perpétuer la race de leur père ». La morale est sauve car Loth, paraît-il, ne s’est rendu compte de rien.



Nage de lotte enivrée accompagnée de deux grosses langoustines

Ingrédient indispensable, une bouteille de Brouilly, année 2006 de Georges Descombes ( des entorses sont possibles, mais le vin doit être assez jeune).Versez ce vin dans une casserole, ajoutez une feuille de laurier, une gousse d’ail écrasée, 3 grains de genièvre, une cuillérée à soupe de bouillon de poule bio. Laissez réduire à feu doux. Filtrez-le.
Pendant ce temps, cuire les tronçons de lotte en papillote à la vapeur avec de la laitue de mer (algues). Quand aux deux grosses langoustines, un bain bouillant ultra rapide (3 minutes) parfumé aux algues et au gros sel, suffira.
La présentation est très simple. Dans une assiette creuse, versez le vin chaud, ajoutez délicatement un gros tronçon de lotte au milieu de l’assiette . Placez les deux langoustines de part et d’autre, les pinces enserrant le poisson.


Une version pour les filles

Lotte échevelée

Lothe est un prénom féminin fort répandu dans les pays germaniques. En hommage à toutes ces jeunes filles qui ne connaissent pas leur bonheur.

Préchauffez le four à 180°. Massez 4 filets de lotte à l’huile d’olive. Puis saupoudrez-les
d’un mélange d’épices appelé « mélange Aphrodite. ».
Déroulez la pâte de kadaïf , puis emmailloté chaque filet avec les filaments de façon à ce que le poisson disparaisse. Nappez la papillote de beurre fondu. Abondamment.
Placez les lottes dans un plat allant au four. Enfournez pour 15 minutes. La pâte de kadaîf va dorer. Piquez le poisson avec une aiguille à brider, quand le bout de l’aiguille est tiède, le poisson est cuit. Laissez-le reposer sous une feuille d’alu quelques minutes. Servez avec une purée de pommes de terre aux herbes fraîches bien lisse, presque liquide.


Les recettes auxquelles vous avez échappé

La lotte bollywood. Curry de lotte pâmée dans un bouillon au curry jaune, chrysanthèmes séchés, essence de roses, ghee
La lotte à l’Américaine. Très sixties. Vous pouvez acheter la sauce en boîte.
La lotte à la vanille (sans commentaire, je déteste)

Souvenir, souvenir d’une cuisinière privée

Première rencontre avec l’animal !
C’était un challenge. Je venais juste de devenir chef à domicile ! Repas d’affaires à l’Ambassade d’Australie. Bravement je propose de la lotte. Mais la bête que le poissonnier était censé m’avoir soigneusement nettoyée, je m’en souviens encore. Quelle tristesse, il restait encore ces peaux qui durcissent à la cuisson et troublent la blancheur du poisson. Armé d’un petit couteau, j’ai tenté de venir à bout de ces peaux résistantes. Impossible. Finalement, la lotte au curry de madras a été présentée en tous, tous petits tronçons bien trop cuits à mon goût, j’ai oublié l’accompagnement, mais je me souviens de l’ambassadeur qui m’a serrée dans ses bras, une coutume chez eux. Ces épanchements m’ont semblé injustifiés. Avec du recul, je pense que le résultat était à la hauteur de leur espérance, ( des Australiens). Pas des miennes.

Depuis la lotte ne m’effraie plus, j’essaie de ne pas la brusquer, d’en conserver la pureté. Malgré ma passion pour les épices, je préfère la rouler dans des tranches de lard d’Arna, fines et transparentes comme du papier à cigarettes et la cuire doucement à l’huile d’olive, puis je la parsème de copeaux de poutargue et la sers avec du riz vénéré, noir, de la plaine du Pô. J’ajoute enfin quelques feuilles de céleri branche frites. La recette est très simple, un peu chère mais ce poisson hors du commun mérite bien ce traitement de faveur.


La chronique du fond des mers 2 sera écrite à 15 mains au moins puisque le protagoniste de cette saga est …
Le poulpe !!!!!


5 commentaires:

Anonyme a dit…

Chère Marie,
On trouve tout de même (parfois) quelque chose de la tête de la lotte (pas de linotte) : les joues de lotte ; assez succulent ... Tout ça pour dire qu'il n'y a pas que la queue (de lotte) dans la vie.
Salutations du fond des mers

Anonyme a dit…

Entre la joue et la queue , j'avoue que j'hésite encore8888

Anonyme a dit…

J'attends la suite avec impatience!
Bravo
Amazonia

Anonyme a dit…

J AI PRIS DE LA LOTTE DANS UN CINQ ETOILES ET IL Y AVAIT DE MINUSCULES BETES NOIRES TRES VIVANTES QUI SORTAIENT DU POISSON...
LE DIRECTEUR A SOUTENU QUE C ETAIT PROPRE A CE POISSON
ME SUIS JE FAIT AVOIR?
OU CELA SE JUSTIFIE T IL?
MERCI DE M ECLAIRER
sophthom@skynet.be

FloDuGolfeDuLion a dit…

Coucou Marie,
Après un convivial apprentissage de la cuisine de la mer avec toi et une super petite troupe il y a peu, je suis revenue très inspirée sur les bords de la Méditerrannée. J'ai déjà fait 2 bouillons de têtes de crevettes (etc.), un pour en faire une sauce slurp, un autre que j'ai gélifié à l'agar-agar et servi en fines tranches sphériques style-genre avec des rillettes de thon à l'échalotte. Pas mal, mais je continue à creuser. Bien amicalement,
Florence
florence.ludi@wanadoo.fr